Le 8 mars dernier, l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM) et l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) du Grand-Montréal ont co-organisé une conférence portant sur les 17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies et les perspectives des pays en développement, en collaboration avec la Chaire Raoul-Dandurand, la Banque Scotia et Connexion internationale de Montréal. Des experts issus des domaines académique, politique, juridique et philanthropique ont pris la parole afin de s’interroger sur les capacités de la communauté internationale à atteindre ces objectifs. Malgré des constats plutôt pessimistes, ces spécialistes croient qu’il n’est pas encore impossible de réussir si tous joignent leurs efforts.
Un programme aux visées globales
« Depuis les années 1960, nous en sommes à la 6e stratégie internationale de développement. Chaque décennie de développement s’est avérée un échec relatif, et la question est de savoir si les plus récents Objectifs réussiront là où les autres ont échoué », lance d’emblée François Roch, professeur au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal. Selon lui, la plus importante différence entre les 17 Objectifs adoptés en 2015 et les précédents Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ayant pris fin la même année, c’est que les ODD ont une portée plus globale. « Auparavant, on s’intéressait au développement sous l’angle unique du sous-développement, en s’attaquant notamment à l’extrême pauvreté, à l’éducation de niveau primaire et à la mortalité infantile. Or, le nouveau programme concerne l’ensemble des 193 États membres de l’ONU », explique-t-il.
En effet, le nouveau programme des ODD souhaite plutôt « éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde », un objectif que même ici le gouvernement pourrait viser, alors que 23% des ménages québécois vivent avec un revenu annuel de moins de 30 000$ . Ainsi, les nouveaux objectifs ayant été formulés de façon à ce que tous les États soient concernés, est-il utopique de croire qu’un effort généralisé sera mis en place d’ici 2030 ?
Selon le Consul aux affaires politiques, économiques et documentaires du Consulat général du Mexique à Montréal, M. Sergio Rivadeneyra Martell, le Mexique fait partie des États émergents qui s’investissent dans l’atteinte des Objectifs de développement durable des Nations Unies. Il a pris la parole lors de la conférence afin de situer les efforts de son pays. « Le Mexique s’intéresse à la pauvreté multidimensionnelle et croit que le développement doit lui aussi être multidimensionnel, explique M. Martell. Il y a 55 millions de pauvres au Mexique, toutes dimensions confondues, c’est énorme. Plusieurs efforts ont été faits et déjà 72 % des cibles minimales ont été atteintes, mais d’importants défis demeurent. »
M. Martell a également précisé que le Mexique, qui n’est plus aujourd’hui considéré comme un pays en développement, estime que les ODD horizon 2030 sont un cadre international et que tous les États doivent l’intégrer dans leur politique intérieure : « Tous les efforts de développement international sont inutiles sans une transformation des politiques économiques internes des États, affirme-t-il. L’agenda 2030 a mis la barre très haute, mais la volonté politique est là au Mexique. »
En attente de l’effort des plus riches
Si le programme s’adresse ainsi à l’ensemble de la communauté internationale, les efforts globaux demeurent colossaux. Pour l’atteinte de ses objectifs, le programme prévoit en effet un budget de 2 500 milliards $ US sur 15 ans. « La capacité de l’ONU à financer ses objectifs est parmi les enjeux les plus problématiques du programme, et ce qui me rend relativement sceptique », explique François Roch. L’ONU ne possède en effet qu’un budget annuel approximatif de 2,5 milliards $, comment alors financer un tel projet ?
Selon M. Martell, tous les États, dont le Mexique, doivent mettre la main à la pâte afin de promouvoir un développement global. « On a beaucoup parlé du rôle des Nations Unies, mais finalement elles ne sont que ce que les États en font, et si les États ne mettent pas plus d’argent, si les États développés comme les États-Unis n’investissent pas plus de ressources, c’est compliqué », affirme-t-il.
Or, bien que les États aient certes un important rôle à jouer, le secteur privé n’est pas à négliger. L’un des principaux freins au développement durable, selon François Roch, c’est la généralisation mondiale du système économique capitaliste. « Le concept même du développement durable demande une transformation du modèle économique vers un modèle circulaire plutôt que linéaire », explique-t-il. À ce titre, le rôle du secteur privé est double selon lui : non seulement les entreprises doivent-elles prendre leur responsabilité sur le plan du financement et être de bons joueurs, notamment en arrêtant toute forme d’évasion fiscale, mais elles doivent également participer à la transformation économique pour que leur modèle soit conforme à la logique de développement durable.
Malheureusement, M. Roch croit qu’il n’y a pas à l’heure actuelle une masse critique de gens qui souhaitent mettre leur savoir vers des idées alternatives. Ce qui est dommage, puisque les chiffres semblent démontrer que les ODD ne pourront être atteints sans la participation des mieux nantis. Selon le Crédit Suisse, 0,7% de la population mondiale possède 45% des richesses. « Cette élite doit accepter la transition économique et remettre en cause certaines façons de faire pour que ça réussisse, affirme François Roch. On n’en est pas encore là. »
Par ailleurs, le rôle de la philanthropie n’est pas non plus négligeable à ce titre. Selon Violaine Des Rosiers, directrice générale d’une fondation privée canadienne, la philanthropie est à la fois un catalyseur de collaboration et un important vecteur d’innovation sociale : « La philanthropie permet de financer des choses qui ne peuvent l’être par le secteur public, notamment en raison des risques que certaines nouvelles approches représentent, explique-t-elle. La philanthropie adopte davantage une vision de l’essaie et erreur, pour tester des solutions, et au lieu de retirer le financement lorsque ça ne fonctionne pas, elle essaie plutôt d’adapter ses pratiques et de poursuivre ses projets. »
Ceci étant dit, le financement provenant du secteur philanthropique demeure globalement marginal. À titre d’exemple, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui génère des fonds de 4 milliards $ US annuellement, ne reçoit que 5% de son financement du secteur privé, ce qui est pourtant considéré comme une importante proportion.
Des objectifs utopiques, mais quoi attendre de l’avenir ?
Finalement, un projet d’une telle ampleur est-il réalisable ? La plupart des conférenciers en doute, mais on peut tout de même se permettre de demeurer optimiste. Si 2030 arrive probablement trop vite, des changements finiront tôt au tard par s’opérer. C’est du moins ce que croit François Roch.
« Tout ce qui a un début a une fin, et le capitalisme aura une fin. N’oublions pas que le régime précédent qui marginalisait les banquiers et les marchands a été complètement renversé. On vit dans un monde marchand actuellement, mais ça n’a pas toujours été le cas », affirme le professeur de droit. Même si, selon certains observateurs, le simple fait de parler de développement dans le contexte mondial actuel est courageux, une surprise est toujours possible. En autant que chacun y mette du sien.
« Les citoyens ont le droit et même le devoir d’exiger des résultats et de la transparence des gouvernements, précise M. Martell du Consulat mexicain. À ce titre, nous sommes tous concernés. »